« Le produit consommé est la partie émergée de l’iceberg. Ce qui compte, ce n’est pas le produit, mais l’usage qui en est fait, c’est-à-dire la fonction du produit dans la vie de l’usager ou du patient. » Pour Lucie Pennel, médecin addictologue au CHU de Grenoble-Alpes, les conduites addictives, d’abord utilisées comme des « stratégies d’adaptation » rapides et facilement accessibles pour faire face à des contraintes internes (faible estime de soi) ou externes (stress), peuvent déboucher, pour certains usagers et dans certaines circonstances, sur une perte de contrôle.  Pour les aider à sortir de l’addiction, il faut donc comprendre avec eux pourquoi et comment ils consomment.
Objectif : leur permettre de mettre en place des stratégies alternatives et restaurer leur autonomie pour retrouver une qualité de vie.

« Il faut sortir de la vision par produit. La poly consommation, voire la poly addiction est la règle, soit simultanément, soit dans le temps. Une problématique addictive avec l’alcool, par exemple, montre une vulnérabilité de la personne vis-à-vis de ce produit. Le produit d’appétence principale est l’alcool mais l’usager pourrait se diriger aussi vers d’autres substances ou d’autres comportements en fonction de leur accessibilité et des circonstances : le tabac, les médicaments, les drogues de synthèse, la nourriture, mais aussi le sport, le sexe, le jeu, le travail, etc….
Un adolescent en difficulté peut développer une appétence pour le cannabis pour transgresser les règles, faire comme les autres ou parce qu’il se sent mal et qu’il y a des dealers au coin de la rue… S’il n’est pas aidé vis-à-vis de la problématique de fond qu’il aura appris à gérer avec le cannabis, comme par exemple des difficultés à faire face à des facteurs de stress dans l’environnement, des émotions négatives, certaines vulnérabilités psychiatriques, il risque d’être amené, plus tard, quand il se détournera de ce produit, à consommer de l’alcool ou de la cocaïne, par exemple dans un milieu professionnel propice. »

Lucie Pennel

médecin addictologue au CHU de Grenoble-Alpes

Une vie à reprogrammer

Privée de son produit, par exemple lors d’un sevrage rapide, une personne souffrant d’addiction ne résoudra qu’une petite partie du problème, qui plus est à court terme. Parce qu’au-delà de la dépendance physique, que les médecins savent soulager, c’est toute une vie qui est à « reprogrammer » pour se libérer de la dépendance psychique.

« Il faut très souvent travailler la gestion des émotions. Si la personne consomme, c’est pour apaiser un malaise et parce qu’elle a l’impression que le produit lui fait du bien. La consommation devient compulsive, c’est-à-dire qu’elle permet d’éviter ces sensations de malaise. L’envie de consommer va devenir irrépressible, c’est ce que l’on appelle le “craving”. Le circuit de la récompense, c’est-à-dire le circuit de la motivation, qui assure habituellement la survie de l’individu (manger) et de l’espèce (se reproduire) va être détourné au profit du produit. Lorsque les processus addictifs s’installent, la répétition du comportement de consommation va entrainer la mise en place de différents automatismes, comme le fait de remplacer progressivement les émotions souvent négatives par des consommations, jusqu’à ce que les usagers soient totalement déconnectés de leur système émotionnel : c’est ce que l’on appelle l’alexithymie. L’addiction est un trouble de l’usage dont la sévérité s’étend le long d’un continuum entre d’un côté un usage contrôlé non problématique et de l’autre un usage dont un individu en souffrance a perdu le contrôle, où le produit est devenu obsédant (craving), la consommation compulsive, et où les conduites se poursuivent malgré des conséquences envahissantes dans différents domaines de la vie (familiaux, professionnels, etc.).

Lucie Pennel

médecin addictologue au CHU de Grenoble-Alpes

Addictions en entreprise, des solutions existent

Au sein de l’entreprise, les comportements addictifs sont à l’origine de nombreux accidents professionnels qui peuvent engager la responsabilité du dirigeant. Vous avez un doute sur la consommation de l’un de vos salariés ? Vous voulez lui venir en aide ?

Déclic addictions

Pour aider les chefs d’entreprise à ouvrir le dialogue sur les conduites addictives, la Fondation du BTP a conçu Déclic addictions. Cette formation basée sur l’échange et le dialogue, a reçu en 2020 le Prix du jury du Festival FimbACTE. Elle s’adresse en trois modules aux dirigeants, aux managers-préventeurs et aux salariés.

Janvier sobre, un outil précieux
« Quand la personne commence à penser de façon envahissante au produit, à organiser sa vie autour de sa consommation, qu’elle ne peut pas s’empêcher d’en reprendre malgré les conséquences, qu’elle consomme pour éviter un malaise (émotions négatives, relations difficiles, etc..), qu’elle perd le contrôleC’est la signature de l’addiction. C’est pour cela que Janvier sobre et Mois sobre sont un excellent test pour savoir où on en est dans sa consommation d’alcool.

C’est le signe que l’alcool a déjà pris trop de place. Ce n’est plus un aliment pour moi. C’est une stratégie d’adaptation erronée, car finalement elle va aggraver à moyen et long termes l’anxiété et les symptômes dépressifs, et qu’elle va entrainer d’autres conséquences physiques, familiales, professionnelles… »

Lucie Pennel

médecin addictologue au CHU de Grenoble-Alpes

Pas égaux face à la dépendance

Que celui qui ne s’est jamais jeté sur sa cigarette pour traverser un moment de stress au travail ou sur la tablette de chocolat pour soigner un chagrin d’amour jette la première pierre à la personne souffrant d’un trouble de l’usage d’alcool ou des opiacés (héroïne, médicaments pour la douleur…).
Bien sûr, l’usage ponctuel d’un produit ne mène pas forcément à l’addiction, d’autant que nous ne sommes pas tous égaux face au risque.
« Nous n’avons pas tous la même capacité de réflexion pour évaluer les bénéfices à long terme d’une contrainte ponctuelle. Pour les individus ayant une personnalité plus impulsive, la satisfaction d’une envie peut prendre le dessus, même si le gain à long terme est plus faible ou que l’effet est préjudiciable. » Sans compter, approfondit le médecin, que notre société de plus en plus sédentaire et habituée à voir ses désirs satisfaits en un clic et sans effort, n’incite pas vraiment à l’élaboration de stratégies de prise de décision ou de résolution de problèmes bénéfiques à long terme. La génétique joue aussi, indique la praticienne, qui rappelle que notre patrimoine génétique peut nous rendre plus vulnérables à certaines substances (opiacées, nicotine, alcool…), même si l’addiction se noue toujours autour de plusieurs facteurs comme :

Facteurs qui favorisent le risque de dépendance

Une situation dont il est possible de sortir

membres d'un groupe de soutien qui se tiennent par les mains

Si la dépendance se nourrit d’un faisceau de causes, le chemin vers la sortie emprunte aussi plusieurs voies.

« Les patients que nous voyons dans le service ont souvent de grandes difficultés émotionnelles… dont ils n’ont eux-mêmes pas conscience ! Un patient dépendant qui rechute malgré les promesses à son entourage n’est pas de mauvaise foi, il est avant tout malade, c’est-à-dire qu’il a perdu sa capacité de contrôle dans différents domaines de sa vie et qu’il se sent totalement impuissant face à un entourage qui ne le comprend plus. Dans ce chaos émotionnel et relationnel, le produit reste la seule source d’apaisement voire la dernière lumière dans l’obscurité. »

Lucie Pennel

médecin addictologue au CHU de Grenoble-Alpes

Même pour les situations les plus complexes, la démarche thérapeutique passe en premier lieu par la remise en route des rythmes de vie : « Dormir mieux est un médicament en soi », insiste Lucie Pennel, qui rappelle aussi les vertus du mouvement : « Le sport, adapté à chacun, évidemment, est l’un des meilleurs traitements. Il aide à réguler le circuit des émotions, l’appétit, le sommeil… ». 

Une fois le rythme repris, les stratégies thérapeutiques doivent être personnalisées et évolutives, c’est-à-dire adaptées aux objectifs, aux besoins et à la progression du patient, indique Lucie Pennel : « Comprendre à quoi sert le produit dans la vie du patient devient capital, car cette lecture clinique nous donne les clés des dimensions et des compétences qu’il sera nécessaire de travailler pour permettre au patient de développer ses propres ressources, indispensables à la restauration de sa qualité de vie : traitement des douleurs, gestion des émotions, notamment l’anxiété, estime de soi, impulsivité, stratégies de communication, etc.
Sortir des addictions, c’est apprendre à vivre autrement et remettre en route un projet de vie. »

    Des proches au rôle fondamental

    Dans le service d’addictologie du CHU Grenoble-Alpes, les proches des personnes souffrant d’addiction, longtemps tenus à l’écart des parcours de soins, sont également les bienvenus.
    Un programme, distingué en 2019 par le Prix Galien dans la catégorie « Accompagnement du patient », leur est même consacré. 

    Encadré par des professionnels de l’addictologie formés à l’entretien motivationnel et à l’éducation thérapeutique, ETAPE (Education Thérapeutique Addiction Patient Entourage) vise à « permettre aux entourages de devenir des partenaires informés et compétents du parcours de soins de leurs proches souffrant d’addiction » et à améliorer leur propre qualité de vie souvent très dégradée.
    Au fil des 4 à 6 mois du programme, ils apprennent à mieux comprendre la pathologie de leur proche, à l’accompagner dans une communication apaisée, et peuvent devenir l’un des moteurs d’une vie libérée des addictions.

    Catégories : Addictions