« Le produit consommé est la partie émergée de l’iceberg. Ce qui compte, ce n’est pas le produit, mais l’usage qui en est fait, c’est-à-dire la fonction du produit dans la vie de l’usager ou du patient. » Pour Lucie Pennel, médecin addictologue au CHU de Grenoble-Alpes, les conduites addictives, d’abord utilisées comme des « stratégies d’adaptation » rapides et facilement accessibles pour faire face à des contraintes internes (faible estime de soi) ou externes (stress), peuvent déboucher, pour certains usagers et dans certaines circonstances, sur une perte de contrôle. Pour les aider à sortir de l’addiction, il faut donc comprendre avec eux pourquoi et comment ils consomment.
Objectif : leur permettre de mettre en place des stratégies alternatives et restaurer leur autonomie pour retrouver une qualité de vie.
Lucie Pennel
médecin addictologue au CHU de Grenoble-Alpes
Une vie à reprogrammer
Privée de son produit, par exemple lors d’un sevrage rapide, une personne souffrant d’addiction ne résoudra qu’une petite partie du problème, qui plus est à court terme. Parce qu’au-delà de la dépendance physique, que les médecins savent soulager, c’est toute une vie qui est à « reprogrammer » pour se libérer de la dépendance psychique.
Lucie Pennel
médecin addictologue au CHU de Grenoble-Alpes
Addictions en entreprise, des solutions existent
Au sein de l’entreprise, les comportements addictifs sont à l’origine de nombreux accidents professionnels qui peuvent engager la responsabilité du dirigeant. Vous avez un doute sur la consommation de l’un de vos salariés ? Vous voulez lui venir en aide ?
- Si le salarié se met en danger ou représente un danger immédiat pour ses collègues, mettez-le en sécurité, à l’écart ;
- Si vous pensez qu’un salarié a développé un comportement addictif, il est fondamental d’adopter une attitude humaniste (Carl Rogers) : rompre la loi du silence, de l’indifférence et de l’isolement pour garder un lien et maintenir la communication avec la personne qui signale sa détresse à travers son comportement.
- Votre rôle, en tant qu’employeur, est de l’orienter vers la médecine du travail qui évaluera son aptitude à occuper son poste.
- En partenariat avec le médecin du travail, les représentants du personnel et les organismes de prévention, vous pouvez envisager des opérations de sensibilisation. La priorité est de pouvoir en parler simplement sans tabou, mais aussi d’apprendre à mettre des limites sans attendre en sécurisant les conditions de travail et en sachant orienter rapidement, car c’est une maladie qui se soigne.
Déclic addictions
Pour aider les chefs d’entreprise à ouvrir le dialogue sur les conduites addictives, la Fondation du BTP a conçu Déclic addictions. Cette formation basée sur l’échange et le dialogue, a reçu en 2020 le Prix du jury du Festival FimbACTE. Elle s’adresse en trois modules aux dirigeants, aux managers-préventeurs et aux salariés.
Janvier sobre, un outil précieux
- Suis-je capable d’arrêter, de maîtriser ma consommation et surtout pendant combien de temps ?
- Qu’est-ce que cela crée comme sensation chez moi ?
- Si je remarque un malaise lorsque j’arrête
- Si j’utilise l’alcool pour supporter ou faire face à certains évènements de ma vie quotidienne
- Si c’est devenu le seul moyen de faire une pause et me détendre,
Lucie Pennel
médecin addictologue au CHU de Grenoble-Alpes
Pas égaux face à la dépendance
Que celui qui ne s’est jamais jeté sur sa cigarette pour traverser un moment de stress au travail ou sur la tablette de chocolat pour soigner un chagrin d’amour jette la première pierre à la personne souffrant d’un trouble de l’usage d’alcool ou des opiacés (héroïne, médicaments pour la douleur…).
Bien sûr, l’usage ponctuel d’un produit ne mène pas forcément à l’addiction, d’autant que nous ne sommes pas tous égaux face au risque.
« Nous n’avons pas tous la même capacité de réflexion pour évaluer les bénéfices à long terme d’une contrainte ponctuelle. Pour les individus ayant une personnalité plus impulsive, la satisfaction d’une envie peut prendre le dessus, même si le gain à long terme est plus faible ou que l’effet est préjudiciable. » Sans compter, approfondit le médecin, que notre société de plus en plus sédentaire et habituée à voir ses désirs satisfaits en un clic et sans effort, n’incite pas vraiment à l’élaboration de stratégies de prise de décision ou de résolution de problèmes bénéfiques à long terme. La génétique joue aussi, indique la praticienne, qui rappelle que notre patrimoine génétique peut nous rendre plus vulnérables à certaines substances (opiacées, nicotine, alcool…), même si l’addiction se noue toujours autour de plusieurs facteurs comme :
- la vulnérabilité de l’individu (génétique, personnalité, vulnérabilités psychiatriques, etc…) ;
- l’accessibilité du produit et son caractère addictogène ;
- l’environnement particulier de la personne, qui permet (ou pas) l’accès au produit : conditions de vie, valeurs personnelles, capacité d'adaptation au stress...
Une situation dont il est possible de sortir
Si la dépendance se nourrit d’un faisceau de causes, le chemin vers la sortie emprunte aussi plusieurs voies.
Lucie Pennel
médecin addictologue au CHU de Grenoble-Alpes
Même pour les situations les plus complexes, la démarche thérapeutique passe en premier lieu par la remise en route des rythmes de vie : « Dormir mieux est un médicament en soi », insiste Lucie Pennel, qui rappelle aussi les vertus du mouvement : « Le sport, adapté à chacun, évidemment, est l’un des meilleurs traitements. Il aide à réguler le circuit des émotions, l’appétit, le sommeil… ».
Une fois le rythme repris, les stratégies thérapeutiques doivent être personnalisées et évolutives, c’est-à-dire adaptées aux objectifs, aux besoins et à la progression du patient, indique Lucie Pennel : « Comprendre à quoi sert le produit dans la vie du patient devient capital, car cette lecture clinique nous donne les clés des dimensions et des compétences qu’il sera nécessaire de travailler pour permettre au patient de développer ses propres ressources, indispensables à la restauration de sa qualité de vie : traitement des douleurs, gestion des émotions, notamment l’anxiété, estime de soi, impulsivité, stratégies de communication, etc.
Sortir des addictions, c’est apprendre à vivre autrement et remettre en route un projet de vie. »
Des proches au rôle fondamental
Dans le service d’addictologie du CHU Grenoble-Alpes, les proches des personnes souffrant d’addiction, longtemps tenus à l’écart des parcours de soins, sont également les bienvenus.
Un programme, distingué en 2019 par le Prix Galien dans la catégorie « Accompagnement du patient », leur est même consacré.
Encadré par des professionnels de l’addictologie formés à l’entretien motivationnel et à l’éducation thérapeutique, ETAPE (Education Thérapeutique Addiction Patient Entourage) vise à « permettre aux entourages de devenir des partenaires informés et compétents du parcours de soins de leurs proches souffrant d’addiction » et à améliorer leur propre qualité de vie souvent très dégradée.
Au fil des 4 à 6 mois du programme, ils apprennent à mieux comprendre la pathologie de leur proche, à l’accompagner dans une communication apaisée, et peuvent devenir l’un des moteurs d’une vie libérée des addictions.